L'Echangeur, le 22 janvier 2002
GODSPEED YOU BLACK EMPEROR ! ou l’histoire d’un groupe
à géométrie variable
Un homme arrive de la gauche de la scène, piétine légèrement un sac contenant
des vinyls fraîchement acquis, continue son chemin sans s’excuser jusqu’à une
vieille guitare électrique. Inconnu à mes yeux et à mes oreilles, Marc Sens
nous délivre une prestation courte mais mémorable. Je n’avais jamais ressentie
une aussi forte émotion, les oreilles déjà bouchées par des protections, j’aurais
voulu me les arracher. L’homme est seul sur scène, pas un seul signe, ni un
seul mot...Son set débute par un son corrosif et froid, le reste consistera
en une improvisation, en une maltraitance de sa guitare. Très porté sur l’expérimentation,
Marc utilise tour à tour chaîne et tournevis, qui se révèlent être ici des instruments
de torture (à l‘encontre de sa guitare ? du public ? ou de lui-même ?). Au bout
de 20 minutes l'homme repart comme il est venu, en marchant .... (pas sur le
sac cette fois) sans s’excuser (cette fois-ci, pour le dérangement sonore).
A peine le temps de retirer les bouchons que la seconde 1ère partie arrive;
encore un homme seul, cette fois derrière une table où est posé un IMac. Christian
Fennesz est tout aussi peu convaincant que le premier. Les yeux rivés sur son
écran (que le public ne peut pas voir, frustration), il extirpe de vagues sons
électronica. Quelques courts instants sont écoutables, mais se perdent aussitôt
dans un set de musique électronique qui se veut sans queue, ni tête et sans
fin.
Tout cela m’amène quand même à trouver un rôle à ces deux 1 ères parties : être
si mauvais que l’artiste principal paraisse si grand en comparaison.
Mission accomplie Godspeed You Black Emperor ! fût grand, bien plus que je ne
l’aurais cru, mais pas en raison des 1ères parties. Il est 22 h passé, concert
archi complet dans une salle beaucoup trop petite pour ceux qui sont restés
dehors et pourtant si grande pour ceux qui y étaient. 1, 2 personnes puis 9,
voire 10 arrivent sur scène. Tout s’explique : deux ou trois batteurs, deux
bassistes, une violonceliste, une violoniste, et trois guitaristes (?). GYBE!
a tout simplement réussi à nous faire perdre la notion de l'espace. Les membres
prennent place sur une petite scène, certains de dos, d'autres accroupis, en
cercle.........dans une pénombre.
« Gathering storm » ouvre la marche. Aux premiers sons émis pas les cordes, on pressent déjà la terrible tournure que va emprunter le morceau. Bien que connaissant ce titre, le public ne peut faire le poids face à cette soudaine envolée de guitares torturées et sinueuses. Le volume sonore est supportable pour les protégés, mais pour les autres il se révèle être dévastateur. Le concert continue, les morceaux se lient et se délient au rythme des projections qui s’animent tour à tour sur les murs da la salle. La violoncelliste pince ses cordes, ses trois notes répétitives annoncent « World police and friendly fire », une heure plus loin c’est « The sad mafioso » avec un trop court moment où l’on entendra pour la première et dernière fois les membres chanter (a cappella). Le public ne souffle mot pour mieux saisir ce que GYBE ! nous offre : un concert harmonieux, alternant temps calmes et forts avec maîtrise, un concert raffiné où le moindre coup d’archet ou son de xylophone est perceptible. On en vient à regretter que les sièges de l’Echangeur (qui est à l'origine une salle de théâtre) aient été retirés pour l’occasion.
Le temps qui a perdu ce soir toute signification
(presque trois heures de live et trois rappels), vient cependant nous rappeler
qu'il est 1h10 du matin, que c'est fini et qu'il ne nous reste plus qu'un vague
souvenir de ce qui fût une véritable performance.
Rita Carvalho